La voûte d'arête

 























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Comme nous l’avons vu au chapitre précédent la voûte en berceau a deux inconvénients majeurs. La difficulté de percer des ouvertures dans la voûte sans la fragiliser, ce qui limite la luminosité de l’édifice. Le poids de la voûte qui exerce une poussée latérale tout le long du mur gouttereau, ce qui l’oblige a être épais et limite la taille des fenêtres qui y sont percées. Ces deux faiblesses limitent la taille des édifices que les architectes pouvaient construire avec les techniques de l’époque.

L’emploi de la voûte d’arêtes s’est largement développé au 11ème et 12ème siècle d’abord pour couvrir les bas-côtés, les nefs restant soit charpentées comme à Ebreuil (03) soit couvertes par des voûtes en berceau. La couverture des nefs en voûtes d’arêtes s’est développée surtout en Bourgogne mais reste limitée dans la longue histoire de l’architecture religieuse médiévale.


Nous allons explorer l’application et l’évolution de la voûte d’arête ainsi que ses conditions d’équilibre en fonction des différents types d’élévation des églises. Rares sont les édifices à une seule nef couverts de voûtes d’arête, ils ne sont donc pas évoqués ici.

-    Définition & Réalisation

-    Nef en berceau – Bas côtés en arêtes

-    Nef en berceau – Bas côtés en arêtes - Tribunes

-    Nef en arête – Bas côtés en arêtes

-    Nef en berceaux transversaux – Bas côtés en arêtes

-    Cryptes

-    Forces et faiblesses de la voûte d’arête



Définition et réalisation


Définition

Le principe de la voûte d’arête était connu depuis l’antiquité, il a été fréquemment utilisé par les Romains pour couvrir de vastes espaces carrés comme, par exemple, aux termes de Cluny à Paris. Ces voûtes d'arête en blocage très épais, donc très lourdes, reposent sur d’importantes maçonneries extrêmement massives et peu esthétiques. L’embellissement était assuré par les revêtements en marbre ou en stuc sculpté et décoré, dans la tradition de la construction romaine qui séparait les fonctions de soutient et les fonctions d’esthétique.


   

Du point de vie géométrique la voûte d’arête est la surface qui résulte de l’intersection de deux voûtes en berceau, c’est à dire de deux demi cylindres.

Pour que la géométrie de la voûte soit facilement réalisable les deux cylindres ont le même diamètre, la voûte est donc parfaitement adaptée pour couvrir une surface carrée.

Pour couvrir les travées d’un bas-côté ou d’une nef, la croisée des deux demi-cylindres est réalisée comme le montre la photo ci-contre (église d’Issy l’Evêque en Saône et Loire). La voûte est constituée de quatre portions triangulaires de demi-cylindres.


   

L’image ci-dessous illustre l’avantage qu’apporte la voûte d’arête par rapport au berceau pour l’éclairage. La base du demi cylindre supporté par l’arc doubleau dans l’axe de la nef arriverait à peu près à la base de la petite fenêtre qui n’existerait donc pas si la voûte n’était constituée que d’un simple berceau. Il faudrait alors surélever la voûte de la hauteur de la fenêtre pour pouvoir la percer dans le mur et par conséquent augmenter l’épaisseur des murs et des contreforts et donc le coût de la construction.


   

Par contre le prix à payer pour bénéficier de ces avantages est une plus grande difficulté de construction. Le coffrage, indispensable pour soutenir les pierres jusqu’à la prise du mortier et au décoffrage, est beaucoup plus sophistiqué que pour une voûte en berceau. Il est donc plus coûteux à réaliser en temps et requiert des compétences et un savoir-faire plus difficiles à trouver.

La voûte d’arêtes offre un autre avantage : la concentration des poussées de la voûte sur ses quatre points d’appui, c’est-à-dire les quatre sommets de la surface carrée qu’elle couvre comme nous l’expliquons dans la fiche Technique de la voûte d'arête.


Réalisation


La voûte d’arête peut être réalisée en blocage ou appareillée. En blocage elle est plus facile à réaliser mais ses performances sont limitées. Appareillée elle est plus difficile à réaliser mais ses performances sont bien supérieures.


La voûte en blocage doit être épaisse pour permettre un bon enchevêtrement des pierres et assurer ainsi sa solidité. Mais elle devient alors très lourde et ce poids devient un inconvénient pour contrebuter les poussées latérales très fortes et assurer sa propre rigidité car elle aura tendance à se déformer sous son propre poids. Son emploi s’est donc limité aux bas-côtés et aux nefs étroites.

La voûte appareillée est plus compliquée à réaliser car les voussoirs arêtiers, c'est-à-dire ceux qui forment l’arête, sont tous différents de la naissance jusqu'au sommet de la voûte. Il faut donc savoir dessiner le gabarit propre à chaque voussoir pour que le tailleur puisse les réaliser. Cela demande une grande compétence en stéréotomie, appelée aussi l’art du trait.


Voûte en blocage                                                               Voûte appareillée


     
  Vaux de Cernay (78)                                                                                  Brioude (43)

    
Bonnay (71)                                                                                  Cunault (49)

Les connaissances en stéréotomie et en géométrie descriptive étaient rares ce qui explique le peu d’édifices réalisés avec des voûtes d'arête appareillées à l’époque romane.

Les voûtes d’arêtes ont d’abord utilisées pour les bas-côtés d’églises alors que leur nef restait couverte d’une voûte en berceau. Les conditions d’équilibre de l’édifice restent donc celles que nous avons vues au chapitre consacré à la voûte en berceau.



Nef en berceau – Bas côtés en arêtes



Édifices à 3 nefs - Type halle sans fenêtres hautes

C’est la poursuite de la structure dite angevine de l’église halle qui offre un contrebutement très efficace en transmettant directement les poussées latérales de la voûte de la nef sur les murs des bas-côtés.

L’ensemble de l’édifice n’est éclairé que par les fenêtres percées dans les murs des bas-côtés. La couverture des bas-côtés en voûtes d’arêtes permet d’agrandir de façon significative les fenêtres pour améliorer l’éclairage tout en allégeant le mur extérieur du collatéral puisque les forces latérales provenant de la nef en berceau et de la voûte du bas-côté sont concentrées sur les points d’appui de la voûte d’arête, c’est-à-dire l’ensemble du contrefort extérieur et de la colonne engagée qui supporte l’arc doubleau.


                     

   

Saint Savin (86)


   

Civaux (86)


   

Le Dorat (87)


   

Cunault (49)


   

Chauvigny – Saint Pierre (86)


                

Farges lès Mâcon (71)


   

Champdeniers (79)


   

Saint Révérien (58)


   

Chauriat (63)


   

Villesalem (86)

    
    

Poitiers – Notre Dame la Grande (86)


Édifices à 3 nefs - Nef centrale surélevée avec fenêtres hautes

L’inconvénient des structure romane de type halle est le manque de luminosité dans l’édifice qui n’est éclairé que par les ouvertures pratiquées dans les murs des bas côtés.


Nous avons vu au chapitre précédent que le percement de fenêtres hautes dans les édifices avec nef en berceau et bas-côtés en berceau résolvait le problème de l’éclairage mais aggravait le problème du contrebutement des poussées exercées par la voûte de la nef située encore plus haut. Le couvrement des bas côtés en arêtes améliore les conditions de luminosité mais ne résout pas les problèmes liés à l’équilibre de la voûte. En conséquence ce type de structure fut peu développée et limité à des églises de petites dimensions.

                                               

   

Bois Sainte Marie (71)


                

Chapaize (71)


                 

Uchizy (71)

A Uchizy  le voûtement en arête est encore hésitant. Il s’agit plus d’un berceau transversal percé d’une lunette dans l’axe du collatéral.


    
Autun (71)

Édifices à 3 nefs - Nef centrale surélevée, arcatures ou triforium, fenêtres hautes

Cette configuration que l'on rencontre assez rarement représente l'apogée de l'architecture romane. La majestueuse église de Cluny, malheureusement disparue de nos jours, en est la plus belle illustration.

Ce type de structure à trois niveaux sera à l'origine de la formidable évolution du gothique.


    

Paray le Monial (71)


    
Semur en Brionnais (71)



Nef en berceau – Bas côtés en arêtes - TRIBUNES


Il peut paraître bizarre d’introduire ce type d’élévation dans le chapitre consacré aux voûtes d’arêtes alors qu’il n’y a aucun lien logique entre tribunes et voûtes d’arêtes. Les premiers édifices avec tribunes avaient des bas-côtés couverts de voûtes en arête, et comme le fil conducteur de ce site est le couvrement, voilà pourquoi nous introduisons ici l’élévation avec tribunes qui fut développée jusqu’à l’époque gothique.

La progression des techniques utilisées jusqu’ici (plafond en bois, berceau en pierre, voûtes arêtes) ont permis de construire toujours plus haut et plus clair, le maximum a été atteint avec Vézelay dont la nef est voûtée d’arêtes (10m de large x 18m de haut).

Pour monter plus haut il fallait contrebuter plus haut, c’est ce que permet l’élévation avec les tribunes qui consiste à ajouter un étage au dessus des collatéraux.

La technique des tribunes avec la technologie romane a été largement développée en Auvergne avec une nef en berceau et des bas côtes voûtés d’arêtes.  Ces édifices nous sont parvenus intacts n’ayant subi aucune transformation majeure au cours des temps.

La Normandie nous a légué quelques édifices dotés de tribunes mais ils ont été lourdement transformés au cours des siècles comme l’Abbaye aux Hommes à Caen ou gravement déconstruits à Jumièges.

La technique des tribunes fut utilisée jusqu’au milieu du 12ème siècle par les architectes gothiques.

Alors que les architectes-ingénieurs d’alors s’ingéniaient à agrandir les ouvertures et à en augmenter le nombre pour faciliter l’accès de l’église aux fidèles, l’accès aux tribunes a toujours été réduit au strict minimum : quelques escaliers hélicoïdaux si étroits qu’ils ne permettent même pas à deux personnes de s’y croiser.

Dans les églises auvergnates les tribunes sont si sombres et les ouvertures vers la nef  si exigües qu’il est difficile d’imaginer que ce fut un lieu de rassemblement des fidèles pour participer au culte.

Dans les églises gothiques, comme nous le verrons, la luminosité est satisfaisante et les ouvertures sur la nef sont spacieuses. Les rambardes, quand elles existent, ne sont que des ajouts modernes et les escaliers d’accès sont aussi limités que dans les églises d’Auvergne. Donc même chez les gothiques les tribunes n’avaient vraisemblablement aucune fonctionnalité liée au culte sauf peut-être la présence de choristes en nombre limité.


Édifices à 3 nefs avec tribunes sans fenêtres hautes

Les églises romanes auvergnates à tribunes ont une nef centrale voûtée en berceau et des bas-côtés voûtés en arêtes. La tribune est voûtée en demi-berceau. Les ouvertures de la tribune vers l’extérieur sont très petites.

Certaines églises auvergnates ont, proche de l’entrée occidentale, deux colonnes engagées surmontées d’un chapiteau qui ne supporte rien. A ce jour leur fonction demeure toujours inexpliquée

Le schéma ci-dessous montre comment les tribunes permettent de contrebuter la poussée de la voûte à sa naissance.


                    

             

Ennezat (63)


               

Issoire (63)


   
Clermont-Ferrand – Notre Dame du Port (63)

   

Saint Saturnin (63)


   

Saint Nectaire (63)


Édifices à 3 nefs avec tribunes avec fenêtres hautes

Il y eut quelques tentatives pour surélever la voûte de la nef afin de percer des fenêtres hautes.

Se pose alors le même problème que pour les églises sans tribunes pour contrebuter les poussées se la voûte : murs épais et petites fenêtre.

Saint Etienne de Nevers est un des rares exemple d’église de style roman avec tribunes et petites fenêtres hautes.


                                               

   

Nevers – Saint Etienne (58)


Ce type d’élévation qui atteint ici ses limites dans l’architecture romane, prit un grand essor dans la période gothique mais, comme nous le verrons et fut ensuite abandonné car trop gourmand en pierres.



Nef en arêteS – Bas côtés en arêtes


L’ultime évolution de l’usage de la voûte d’arête fut de couvrir les nefs afin de bénéficier d’un éclairage plus abondant en agrandissant la fenêtre haute  sans surélever la nef.

Les travées des bas-côtés couverts en arêtes sont généralement carrées, la voûte correspond alors à l’intersection de deux demi cylindres de même diamètre. La nef étant nécessairement plus large que les bas-côtés, les travées sont rectangulaires. Il faut alors tricher pour réaliser l’arête comme nous l’expliquons dans la fiche technique relatives aux voûtes d’arête.

L’avantage qu’apporte l’éclairage entraîne une nouvelle difficulté dans la réalisation de la voûte et limite donc la largeur de la nef pour ne pas accroître la complexité de la réalisation du coffrage et de la solidité de l’arête.

Cette disposition ne permettait pas de construire plus large ni vraiment plus haut car le problème de l’étaiement de la voûte surélevée rencontré avec les voûtes en berceau avec fenêtres hautes demeurait.

Cette disposition fut largement développée en Bourgogne.


                                     

   

Avallon (89)


   

Saint Vincent Bragny (71)


   

Anzy le Duc (71)


   
Issy l’Évêque (71)

   

Vezelay (89)


    
La Charité sur Loire (45)

Vézelay est un des rares édifices d’une largeur de plus de 10 mètres dont la nef est couverte par des voûtes d’arêtes.



Nef en berceaux transversaux – Bas côtés en arêtes


Voilà une innovation absolument remarquable qui permet à la fois l’ouverture de fenêtres hautes et la suppression des poussées latérales exercées par la voûte de la nef : couvrir chaque travée de la nef par une voûte en berceau disposée transversalement.

Les voûtes se contrebutent les unes les autres. La première s’appuie sur le massif occidental et la dernière sur la croisée du transept.

Cette disposition ne fut significativement pratiquée qu’à Tournus et à Mont Saint Vincent, petite ville distante d'environ une cinquantaine de kilomètres.


                                              

   

Tournus (71)


   

Mont Saint Vincent (71)


La plupart des auteurs estiment que cette disposition ne s’est pas développée parce qu’elle diminue l’effet de volume et de grandeur en abaissant la perspective longitudinale de la nef.

En effet le sommet des arcs doubleaux qui séparent les travées arrive à la base des voûtes transversales alors que pour la voûte en berceau longitudinal l’arc doubleau culmine à la même hauteur que le sommet de la voûte, ce qui est le cas aussi pour les voûtes en arête et certaines voûtes d'ogive.

 

Nef voûtée en berceau transversaux                                                  Nef voûtée en berceau longitudinal



CRYPTES


Les cryptes ont joué un rôle important dans les premiers édifices religieux depuis l’époque carolingienne. Ces espaces enterrés ou semi-enterrés situés sous le chœur des églises romanes étaient le lieu où l’on protégeait et vénérait les reliques sacrées des martyrs et des saints. De dimensions très variées, d’une petite salle carrée obscures dont le plafond est soutenu par quelques colonnes jusqu’à de véritables églises enterrées, comme à Saint Eutrope.

Dans certains cas, lorsque la déclivité du terrain est importante de l’ouest vers l’est, la crypte est une structure semi-enterrée qui sert de soutènement au chœur de l’église, comme à Vertus.

Les cryptes sont en général couvertes de petites voûtes d’arête, dispositif adapté pour donner du volume et de la perspective à cet espace aveugle et restreint. En voici quelques exemples.


    

Curzon (85)                                                                             Tournus (71)


    

Étampes – ND du Fort (91)                                                           Saint Parize le Chatel (58)

 
    

Issoire (63)                                                                                            Auxerre (89)


    

Saint Eutrope (17)                                                                                     Saint Denis (93)



Forces et faiblesses de la voûte d’arête



Les forces :

Grâce à sa géométrie la voûte d’arête permet de percer une fenêtre dans le mur qui la soutient, au-dessus de la naissance de la voûte.  Son utilisation dans les bas-côtés permettait ainsi d’éclairer largement les collatéraux et indirectement la nef.

Le deuxième avantage qui se combine avec le précédent est de localiser les forces de poussée latérale sur les arêtes et pour les concentrer ainsi sur les quatre extrémités de la travée. Le mur est ainsi libéré de la poussée de la voûte et il peut sans danger être allégé et percé pour placer une fenêtre de grande dimension.

Les faiblesses :

Pour que l’arête puisse être construite avec robustesse il faut la soutenir par un cintre parce que c’est le long de l’arête que les poussées latérales de chaque portion cylindrique de voûte vont se combiner pour donner la résultante qui va suivre la ligne de l’arête jusqu’au mur qui la soutient. L’arête est la partie de la voûte la plus sollicitée mécaniquement et du fait du procédé de construction elle est la plus fragile.

En effet l’arête a la forme d’une ellipse. Autant il est facile de réaliser un cintre en charpenterie ayant la forme d’un demi-cercle, autant il était impossible avec les moyens de l’époque de construire un cintre régulier et robuste en forme d’ellipse pour des grandes portées. Rappelons qu’à l’époque les outils de la géométrie étaient la règle et le compas qui, pour de grands rayons, étaient réalisés avec un cordeau attaché en un point.

Or toute imperfection du cintre se traduisait par une mauvaise disposition de la maçonnerie le long de l’arête où se concentrent toutes les forces au moment du décoffrage.

On imagine aisément que plus la voûte a une grande portée, plus elle est lourde et plus elle est fragile le long de l’arête.


Le deuxième inconvénient est d’ordre esthétique. Pour que la voûte soit belle la ligne d’arête doit être fine et pure. C’est encore plus vrai dans les déambulatoires où la ligne n’est pas dans un plan, comme dans les travées droites d’une nef ou d’un bas-côté. Elle a la forme d’un "S" qui doit être bien tracé pour être agréable à la vue. Plus la portée est grande, plus les imperfections de la ligne d’arête seront visibles et disgracieuses.

Pour les voûtes en blocage le dessin de la ligne d’arête est délicat à réaliser avec l’enduit qui recouvre l’intrados du blocage.

Pour les voûtes appareillées le dessin de la ligne d’arête est le résultat de l’exactitude avec laquelle les gabarits ont été dessinés et les voussoirs taillés.